INTERVIEW

Valérie Hoffenberg
Présidente du Connecting Leaders Club

Interview réalisée par le Club Italie France.

Née à Marseille, diplômée en Droit et Communication, Valérie Hoffenberg est une femme d’action engagée avec une grande expérience dans le monde des affaires, du lobbying et de la politique en France et à l’étranger.

En 2013, après une carrière politique en tant qu’ancienne envoyée spéciale du Processus de paix au Moyen-Orient nommée par le Président de la République Française Nicolas Sarkozy et cinq ans comme Représentante de Paris, elle décide de mettre à profit son vaste et unique réseau international, tant au niveau politique qu’économique, pour créer le Connecting Leaders Club, une société de consulting et d’organisations d’événements à destination des chefs d’entreprises, des institutions, qui offre un accès rapide, unique et privilégié à un réseau international de haut niveau. Elle est Chevalier dans l’ordre national de la Légion d’honneur.

Après le succès des conférences et événements en France, elle décide en 2015 d’étendre ses activités dans le monde entier et ouvre la branche israélienne du Connecting Leaders Club.

Club Italie-France : En tant que représentante sociale du processus de paix, votre rôle était de soutenir tout projet favorisant la paix entre les hommes, principalement au Moyen-Orient et en Méditerranée. Où en est le dialogue entre Europe, Moyen-Orient et États-Unis? En l’espace de seulement quelques années comment les équilibres géopolitiques ont-ils évolués ?

Valérie Hoffenberg: L’accord voulu par Barack Obama avec l’Iran a profondément bouleversé les équilibres géopolitiques du Moyen-Orient. l’Arabie Saoudite et les Emirats se sont senti trahis par les Américains et face à la menace d’un Iran nucléarisé, ils ont développé des relations avec Israël bouleversant considérablement la géopolitique de la région. Cette nouvelle alliance de circonstance fragilise les palestiniens, notamment l’autorité palestinienne qui compte sur le financement Saoudien. Au même moment on assiste à une dégradation des relations entre la Turquie et Israël. La Turquie se présente désormais comme un soutien des palestiniens de Gaza. La guerre en Syrie marque également le retour de la Russie dans la région. La présence de soldats iraniens à la frontière d’Israël est une source d’inquiétude pour Israël qui a néanmoins réussi à mettre en place un accord avec la Russie qui tout en soutenant le régime de Bachar el-Assad, laisse Israël intervenir en Syrie pour protéger ses intérêts vitaux avec des frappes ciblées.

L’élection de Donald Trump constitue un renforcement des relations entre Israël et les Etats-Unis. L’installation de l’ambassade Américaine à Jérusalem a constitué un symbole très fort. L’influence de l’Europe est aujourd’hui de plus en plus faible en ce qui concerne le conflit Israélo-Palestinien. Le développement du terrorisme partout en Europe a d’autre part modifié la perception de l’opinion public vis-à-vis d’Israël qui comprend davantage la situation sécuritaire d’Israël. Le conflit palestinien qui a beaucoup agité les foules européennes est passé en deuxième plan. S’il reste nécessaire de trouver une solution à ce conflit, la situation reste très complexe. Le peuple palestinien est aujourd’hui profondément divisé, la Cisjordanie connaît un développement économique certain, une baisse du chômage qui permet l’émergence d’une classe moyenne qui a tout intérêt à conserver le calme sur son territoire. Au delà des déclarations politiques parfois violentes entre les dirigeants israéliens et palestiniens, il ne faut pas sous-estimer les collaborations importantes dans les domaines économiques et sécuritaires. En revanche, Gaza administré par le Hamas reste une poudrière. Il est donc difficile de trouver un interlocuteur représentatif et crédible pour négocier les accords de paix.

« Nos banlieues sont des poudrières où nous avons laissé se développer la haine de l’Occident. Nous sommes rentrés dans une 4ème guerre mondiale qui trouve son idéologie dans l’islamisme et la haine de la modernité. »

En revanche si longtemps les conflits du Moyen Orient étaient importés en Europe on assiste à un renversement de la situation. De plus en plus d’Européens d’origine musulmane se rendent au Moyen Orient pour grossir les rangs des troupes de Daesh. Nos banlieues sont des poudrières où nous avons laissé se développer les idéologies salafistes et la haine de l’Occident. Nous sommes en quelque sorte rentrés dans une 4ème guerre mondiale qui trouve son idéologie dans l’islamisme et la haine de la modernité. C’est une guerre contre la Modernité Occidentale mais aussi contre toute tentative de modernité dans les pays musulmans. Le monde Occidental doit impérativement gagner cette guerre contre l’obscurantisme. Mais comme rien n’est simple il faut concilier les paradoxes .. lutter contre l’obscurantisme avec comme allié l’Arabie Saoudite …

« Pour chaque euro dépensé pour la sécurité, il faudrait dépenser un euro dans l’éducation qui est la clé de notre vivre ensemble. »

Club Italie-France : Nous assistons en ce moment à une profonde fracture économique, sociale et culturelle, une recrudescence des violences. Y a t-il également une fracture religieuse selon vous ? La cohésion nationale, le dialogue interculturel, la culture urbaine européenne sont-ils des solutions pour construire un modèle vertueux et évoluer ensemble ?

Valérie Hoffenberg : La montée des populismes en Europe est liée à des fractures économiques, mais aussi culturelles et sécuritaires. Au delà des questions économiques, la politique migratoire d’Angela Merkel et la crise des réfugiés ont contribué à l’élection du 5 stars en Italie, à la montée de l’extrême-droite en Allemagne, au Brexit et à la présence de Marine Le pen au second tour de la présidentielle française. Il ne faut pas sous-estimer le sentiment d’insécurité culturel et identitaire des peuples européens qui, face à la menace islamiste, souhaite conserver leur mode de vie et leur culture. Si le dialogue interculturel doit prévaloir, il faut y ajouter de la fermeté et des mesures sécuritaires. Il faut instaurer un équilibre entre éducation, culture, sécurité et fermeté. Pour chaque euro dépensé pour la sécurité, il faudrait dépenser un euro dans l’éducation qui est la clé de notre vivre ensemble.

Club Italie-France :  « L’Europe est protectrice, porteuse d’espoir tant désirée par tous les autres peuples du monde » : comment définiriez-vous dans le contexte actuel l’identité européenne et le rôle de l’Europe dans le monde, tant au niveau politique que culturel ?

Valérie Hoffenberg : Je commencerai par dire qu’il faut que l’Europe protectrice ne soit pas uniquement un slogan mais qu’elle devienne réalité. L’Europe, aujourd’hui, ne protège pas assez sa population de la nouvelle guerre que nous menons contre le terrorisme. Elle doit davantage montrer son efficacité sur des questions économiques, principalement face à l’hégémonie des GAFAM. L’Europe constitue un immense marché économique bénéficiant d’une population très éduquée et qui a su conserver la paix sur son territoire depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Elle doit impérativement assurer sa défense militairement et économiquement pour peser face à l’allié américain et aux nouveaux géants chinois et indien. L’Europe est le fruit d’une histoire à la fois douloureuse et porteuse d’espoir. Nous devons tout faire pour conserver notre culture et notre mode de vie.

Club Italie-France : Quelle(s) réponse(s) donner face à la montée du populisme et des nationalismes en Europe, à la peur de l’autre et au repli sur soi-même ?

Valérie Hoffenberg : Comme je l’ai dit précédemment, il faut investir à la fois dans l’éducation et la sécurité. Il faut également cesser le “politiquement correct” qui nous a empêché d’apporter des réponses sur les questions migratoires laissant ce sujet à l’extrème-droite.

« Le mouvement des “gilets jaunes” n’aurait jamais pu exister sans les réseaux sociaux, il a permis aux “invisibles de la République”, ceux qu’on n’entendait et qu’on ne voyait pas, de faire connaître leurs difficultés et leurs revendications. »

Club Italie-France : Les distributeurs évaluent à 1 milliard d’euros le manque à gagner depuis le début du mouvement des « gilets jaunes ». Révolte sociale, économique ou politique ? Quelle réponse donner pour apaiser les tensions et le dialogue suffira-t-il ?

Valérie Hoffenberg : Cette crise démontre une fois encore la difficulté à gouverner un pays aux attentes diverses et parfois opposées. Le mouvement des “gilets jaunes” n’aurait jamais pu exister sans les réseaux sociaux. Elle a permi aux “invisibles de la République”, ceux qu’on n’entendaient et qu’on ne voyaient pas, de faire connaître leurs difficultés et leurs revendications. Il faut s’en féliciter. En revanche, les réseaux sociaux exacerbent les passions et ne doivent pas se substituer aux règles démocratiques. Rien ne remplacera la légitimité donnée aux élus par les élections. J’ajouterai que la crise des “gilets jaunes” est aussi une crise de la confiance dans les élites et dans leurs compétences. Contrairement à ce que nous pouvons voir sur les plateaux télés, toutes les opinions ne se valent pas. Il faut savoir remettre en perspective la parole de l’économiste et celle du commentateur.

Club Italie-France : Cette crise arrive 18 mois après l’élection d’Emmanuel Macron à la Présidence de la République. Vous qui avez été proche du pouvoir et de Nicolas Sarkozy pendant des années, quel est votre regard sur la fin du quinquennat ?

Valérie Hoffenberg : Nous sommes à 18 mois, ce qui reste le début du quinquennat. L’élection d’Emmanuel Macron a contribué durant la première année à faire rayonner la France à l’international. Je continue à penser que les réformes mises en place par le Président la première année furent positives pour notre pays. Cependant, quelque soit son intelligence et sa vision, le Président a fait preuve d’inexpérience politique. En décrédibilisant les partis et en affaiblissant les corps intermédiaires, il s’est retrouvé seul face au peuple. Il va devoir reconstruire sa légitimité dans un paysage politique totalement fragmenté qui ne permet plus aux français de se sentir représentés par leurs élus. Son défi sera de conserver sa dynamique de réformes, tout en donnant une perspective à ceux qui craignent la mondialisation et ont peur de ne pas trouver leur place dans ce monde en pleine mutation.

« Je suis extrêmement préoccupée par l’impact des réseaux sociaux sur nos démocraties. L’éducation doit être le réacteur nucléaire de nos démocraties, car il faut former les esprits à prendre du recul et à se préparer à un monde en profonde mutation. »

Club Italie-France : Vos engagements concernent la lutte contre les discriminations, la diversité, l’éducation et l’engagement des femmes pour la paix et le dialogue. Quelles sont vos préoccupations majeures pour 2019 ?

Valérie Hoffenberg : Je suis extrêmement préoccupée par l’impact des réseaux sociaux sur nos démocraties. Il faut relire Hannah Arendt qui décrivait si bien comment le vide de la pensée était à l’origine des totalitarismes. Le pensée binaire développée sur les réseaux sociaux et l’instantanéité de la réaction rendent plus difficile la réflexion nécessaire à un monde de plus en plus complexe. Les réseaux sociaux permettent l’expression de sentiments extrêmement violents, tel que le racisme, le sexisme ou l’antisemitisme. La lutte contre les discriminations et la promotion de la diversité doivent commencer dès l’école. L’éducation doit être le réacteur nucléaire de nos démocraties, car il faut former les esprits à prendre du recul et à se préparer à un monde en profonde mutation.

« Concernant la confiance en soi, l’école doit modifier son enseignement pour valoriser davantage le travail d’équipe, la prise de parole, la prise de risque avec son corollaire, l’acceptation de l’échec. »

Club Italie-France : Vous vous occupez des questions sur l’égalité femmes-hommes. En tant que femme, chef d’entreprise et mère de trois enfants, quelle est votre ambition concernant la place des femmes sur le marché du travail ? Comment enseigner la confiance dans son propre potentiel ?

Valérie Hoffenberg : Tous les hommes et les femmes doivent avoir les mêmes choix d’études, de carrières et de progression. Aucun domaine ne doit être interdit ni à l’un, ni à l’autre. Il est essentiel que les entreprises prennent conscience que l’accès des femmes à des postes à responsabilité et que l’égalité salariale ne sont pas juste des mesures en faveur des femmes mais des outils pour une meilleure gouvernance et de meilleurs résultats économiques. Il faut valoriser les rôles modèles de réussite féminine dans les manuels scolaire mais aussi dans l’espace public. L’égalité salariale et la lutte contre les violences faites aux femmes doivent être des priorités. Concernant la confiance en soi, il me semble que l’école, en particulier en France, doit modifier son enseignement pour valoriser davantage le travail d’équipe, la prise de parole, la prise de risque avec son corollaire, l’acceptation de l’échec.

« Environnement et croissance peuvent aller de pair. »

Club Italie-France : La génération Z demande aux entreprises plus de responsabilité sociale, plus d’éthique, de sens, d’engagement et de transparence. Quelle est votre définition du développement durable et quelles sont vos propositions ?

Valérie Hoffenberg : Pour moi la croissance verte doit encourager une économie qui concilie vision sur le long terme et enjeux sociaux sur le court terme afin de montrer qu’environnement et croissance peuvent aller de pair..

Club Italie-France : Vous avez une connaissance et un accès privilégié aux décideurs économiques et politiques. Qui a le projet le plus ambitieux pour 2019 et peut faire la différence ?

Valérie Hoffenberg : Je ne crois ni en la femme, ni en l’homme providentiel, ni en l’entreprise qui changera la donne mais à la dynamique d’équipe. Pour moi, le projet le plus important pour l’année 2019 revient aux peuples, qui devront voter pour donner les moyens à l’Europe de répondre aux grands enjeux mondiaux. Afin de reconstruire ce lien de confiance, les dirigeants européens doivent impérativement commencer par prouver leur utilité et exiger des GAFAM qu’ils paient leurs impôts là où ils créent de la richesse.

Interview réalisée par Chloé Payer
Club Italie France